Les juteuses affaires au Panama de Seydou Kane
Après une trentaine d’années passées au Gabon, le puissant homme d’affaires s’est attiré de nombreuses faveurs, au Gabon et au Mali en passant par le Sénégal. Il s’est vu gratifier par chacune de ces trois nations d’un passeport diplomatique lui permettant de mener ses affaires sans embûches.
Plus d’un continue de s’interroger sur l’origine de la fortune – estimée à plusieurs dizaines de milliards de FCFA – du natif de Madina, à Nioro du Sahel au Mali. À la tête d’un véritable empire financier, le magnat nourrit chaque ramadan cinq cents personnes, nous apprennent ses proches, qui mentionnent également le financement chaque année du pèlerinage à La Mecque pour une vingtaine de fidèles musulmans.
Mais les nombreuses actions de bienfaisance du magnat pourraient être ternies par nos révélations sur ses activités financières. En effet, Seydou Kane s’est attaché les services de Mossack Fonseca au Panama, pour créer deux sociétés offshore.
Cabinet d’avocats basé au Panama et disposant de plus de 40 bureaux dans le monde, Mossack Fonseca a été fondé en 1977 par un allemand, Jurgen Mossack, et par l’écrivain panaméen Ramón Fonseca ; la firme est spécialisée en droit commercial, services de fiducie, conseils aux investisseurs et aux structures internationales. Elle a été accusée d’aider les citoyens étrangers à contourner le fisc et d’être impliquée dans le blanchiment d’argent.
Quoi qu’il en soit, les données internes de Mossack Fonseca illustrent une belle « complicité » avec Seydou Kane. L’entremise de la firme panaméenne permet ainsi au militant du parti au pouvoir gabonais de mener ses affaires à l’abri du secret. Plusieurs dizaines de mails reconstituent la nature des activités de Seydou Kane dans la gestion de ses deux sociétés.
Aveugle ou complice ?
Avant d’accepter un client, la société panaméenne est censée vérifier son profil. Mais il semble que les informations données dans les médias africains
(http://maliactu.net/mali-suite-de-laffaire-marck-accrombessi-le-milliardaire-malien-seydou-kane-arrete-hier-a-paris/, http://maliactu.net/mali-le-milliardaire-et-lhomme-daffaires-malien-seydou-kane-a-propos-de-son-arrestation-a-paris-par-la-police-francaise/) et occidentaux (http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/23/affaire-marck-seydou-kane-mis-en-examen_4815748_3212.html) sur Seydou Kane ne l’ont pas fait hésiter.
Certains spécialistes en finance internationale ont pu estimer que le cabinet juridique n’a pas découvert le vrai visage de son client : « quelque soit l’explication que l’on pourrait trouver, l’attitude de Mossack Fonseca fait planer les signaux d’une probable complicité » persistent-ils à croire.
Selon nos informations, l’homme d’affaires a véritablement démarré ses activités avec le géant panaméen en 2013. Les références du passeport retrouvé dans l’un des mails démontrent qu’il s’agit bien de Seydou Kane. Un mail datant de cette année évoque la création de la société Smart Key. Par ce même canal, l’homme d’affaires lancera en 2014 une seconde compagnie, baptisée Maxi Gold International Limited.
Même si, au sujet de Maxi Gold International Limited, l’on parle à plusieurs endroits d’une société de négoce (de « sundries », c’est-à-dire des éléments variés dont on ne prend pas la peine de préciser la nature), nos investigations ne nous ont pas permis de savoir la nature exacte des activités de ces sociétés montées de toute pièce.
« The company’s business activity is trading of gym », c’est le libellé du mail indiquant l’objectif de la société Smart Key LTD, créée plutôt, qui opérerait dans le commerce d’équipements de gym.
Au fil de plusieurs dizaines de mails émis entre 2013 et 2014, il apparaît clairement que Seydou Kane exerce une autorité réelle sur ses deux joujoux. Toujours identifié sous la Boite postale 3196 (Libreville, Gabon), l’homme d’affaires est cité dans tous les mails confidentiels envoyés par Mossack Fonseca. Quelques clichés permettent de cerner les facettes d’une mise en scène.
Alors même que l’influent cabinet affirme ne pas être impliqué dans la gestion des entreprises de ses clients, ses agents peuvent opérer en sourdine.
L’assistante (toujours la même) administrative chargée de la clientèle pour M. Kane est constamment à la manœuvre. Elle est en effet à la base de plusieurs échanges de mails formulés en anglais au nom de Mossack Fonseca. « En excluant les honoraires professionnels que nous gagnons, nous ne prenons pas la possession ou la garde de l’argent des clients, ou avoir quelque chose à voir avec les aspects financiers directs liés à l’exploitation de leurs entreprises. », se défend le porte parole de la firme.
Un mail du 16 mars 2013 indique que Seydou Kane partage le capital de l’une de ses sociétés. Celui-ci s’élevait à 50 000 dollars américains. Mossack Fonseca commence par s’assurer de l’identité de son client Seydou Kane avant d’engager la moindre opération. « Please confirm if the person listed and our client Mr. Seydou Kane are the same person », stipule le libellé d’un mail au sujet de la compagnie Maxi Gold International Limited, émis par Mossack Fonseca le 21 mars 2014.
Dans un échange un peu plus récent, datant du 8 mars 2014, il apparaît que Seydou Kane a droit à 50 000 actions dans la société Maxi Gold International Limited. « Veuillez noter que l’actionnaire actuel est le bénéficiaire de l’entreprise et l’activité de la société est de conduire un négoce (divers) en Chine », stipule ce message.
Un autre courriel daté du 25 juin 2013 fait état de la démission de l’administrateur italien Manuel Delfino. Elle a été adressée au conseil d’administration de la société Smart Key LTD avec mention de Seydou Kane.
En réponse à une correspondance de Smart Key LTD sur l’achat d’équipements, envoyé en 2013, Seydou Kane appose sa signature au bas d’un mail demandant d’agir en son nom.
Dans le collimateur de la justice française
Le protégé du régime d’Ali Bongo, président du Gabon depuis 2009, est dans le viseur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclclif) en France dans le cadre d’une enquête pour corruption d’agent public à l’étranger. Arrêté à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle (France) le 18 novembre 2015, puis placé en garde à vue, l’homme d’affaire avait fait l’objet d’une mise en examen pour « corruption d’agent public étranger, abus de bien social, blanchiment en bande organisée, recel, faux et usage de faux ». Pour recouvrer sa liberté, il a du miser gros en déboursant à titre de cautionnement judiciaire la somme de plus d’un milliard de FCFA.
Un document du Sénat américain (http://star.worldbank.org/corruption-cases/sites/corruption-cases/files/documents/arw/Obiang_US_Senate_Foreign_Corruption_Report_Feb_2010.pdf) sur la corruption à l’étranger cite en bonne place Seydou Kane dans une affaire de corruption avec le Président du Gabon. Le passage estampillé « Commerce Bank provided the following information identifying large wire transfers into and out of Ms. Bongo-Astier’s accounts from 2003 to 2007 » dudit document indique le transfert, le 24 mars 2005, depuis Monaco, de 9 975 dollars par l’homme d’affaires. Le 27 mai 2004, la même somme avait été envoyée sous l’intitulé : « Wire Transfer from Seydou Kane Credit Lyonnais NY – BERLMCMC Banque De Gestion Edmund Rothschild Monaco ».
L’écrivain-journaliste français Pierre Péan avait déjà mis en cause les liaisons douteuses entre l’homme d’affaires et le directeur de cabinet d’Ali Bongo. « Seydou Kane se charge notamment pour le compte de Maixent Accrombessi, des transferts de fonds pour les gros investissements immobiliers et les placements dans des paradis offshores », dévoilait-il dans son livre « Nouvelles affaires africaines » (Fayard, 2014).
Même si les données sources auxquelles nous avons eu accès ne permettent pas à notre enquête de livrer tous ses secrets sur la dimension du business de Seydou Kane, il apparaît que l’homme d’affaires a pris gout aux activités panaméennes… pourvu qu’il ne paye pas d’impôts.
Il n’a pas daigné émettre la moindre explication sur ses activités. A sa place, Mossack Fonseca l’a fait de façon indirecte et imprécise. Selon son porte parole, Carlos Sousa, directeur des Relations publiques, le cabinet effectue à chaque fois une vérification diligente et complète sur tous ses nouveaux et futurs clients.
Se gardant de prononcer le nom de celui que les documents officiels de la firme reconnaissent comme un client véritable (Seydou Kane), le porte parole du géant panaméen poursuit : « La plupart des personnes mentionnées dans votre questionnaire ne sont pas nos clients. Et puis, nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions liées à l’information privée concernant notre entreprise. Nous ne pouvons pas fournir des réponses aux questions qui se rapportent à des questions spécifiques, car cela constituerait une violation de nos politiques et de l’obligation légale de maintenir la confidentialité des clients ».
Et d’ajouter : « Quant à vos allégations au sujet de cette question, nous ne savons pas quelle est la source de vos informations, et nous rejetons catégoriquement leur véracité ».
Le cabinet n’exclut tout de même pas que ses services peuvent être utilisés de façons abusives : « Nous regrettons toute utilisation abusive des entreprises que nous incorporons ou les services que nous fournissons et prenons des mesures chaque fois que possible de découvrir et d’arrêter une telle utilisation. Si nous détectons une activité suspecte ou d’une faute, nous sommes prompts à le signaler aux autorités… ».
« Les entreprises que nous incorporons ne sont pas utilisées pour l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou à d’autres fins illicites. Nos services sont réglementés sur plusieurs niveaux, souvent par des organismes qui se chevauchent, et nous avons un dossier de conformité forte » confesse-t-il avant d’ajouter : « Si un nouveau client ou une entité ne veut pas et/ou n’est pas en mesure de nous fournir la documentation appropriée indiquant qui ils sont, et (le cas échéant) de l’endroit où leurs fonds proviennent, nous ne travaillerons pas avec ce client ou cette entité ».
Cependant, avoue-t-il, « nous sommes légalement et pratiquement limités dans notre capacité à réglementer l’utilisation des sociétés que nous incorporons ou auxquels nous fournissons d’autres services. Nous pouvons confirmer que les parties dans la plupart des circonstances que vous citez ne sont pas et n’ont jamais été clients de Mossack Fonseca . Nous vous encourageons à vérifier vos sources, et de comprendre comment cette entreprise a fonctionné historiquement par rapport aux changements qui ont eu lieu récemment pour assurer la transparence dans l’identité des bénéficiaires… et d’améliorer les garanties au sein du système financier international dans lequel Mossack Fonseca opère », conclu notre interlocuteur.
Si la raison n°1 pour créer une société offshore est de payer moins d’impôts, l’homme d’affaires Seydou Kane, nous apprend un de ses proches interrogé à Nioro du Sahel, veut surtout optimiser ses revenus en fuyant tout simplement une pression fiscale qu’il juge de plus en plus forte.
Selon Jacob Fomba, juriste d’affaire malien, les nouvelles reformes fiscales amorcées au Gabon en 2013, veut propulser le pays au rang des pays émergents d’ici l’horizon 2025, tout en faisant fi de l’épineuse réalité de l’évasion fiscale.
En 2013, la porte parole de l’Union Européenne (UE), Mme Dominique Dellicour indiquait que le prélèvement de l’impôt au Sénégal est l’un des meilleurs en Afrique subsaharienne, avec 20% du produit intérieur brut.
En ce qui concerne le Gabon, selon un rapport annuel de la zone franc établi en 2011 par la Banque de France, les entrées fiscales du pays ont représenté 20,9 % du PIB (tendance la plus élevée de la sous-région CEMAC).
Dans la conclusion de son document intitulé « Les performances et les objectifs de la pression fiscale dans les pays à faibles revenus », l’économiste Marin Ferry confirme que l’Afrique améliore progressivement le rendement de l’impôt. Condition sine-qua-non, selon lui, pour booster le développement d’ici 2030 et rattraper le retard vis-à-vis du reste du monde.
Enquête réalisée par David DEMBELE Avec L’assistance éditoriale d’ANCIR et l’accompagnement technique du Consortium International du Journalisme d’Investigation (ICIJ)