Comment Alcatel voulait s’emparer de Malitel
Nous sommes le 10 mars 1999. Le gouvernement malien lance un appel d’offres taillé sur mesure au sujet de « la mise en selle » du premier réseau de téléphonie du Mali immatriculé Malitel ainsi que la répartition de son capital. Le vin semblait tiré à l’avantage de la multinationale Alcatel qui bénéficiait d’un avantage comparatif avec 44% du capital.
Les documents contenus dans la base de données des « Panama Papers » (obtenus par la Süddeutsche Zeitung et dévoilés par l’ICIJ) sont sans équivoque. La firme française mise gros, car jouant sur ses rapports avec l’opérateur historique Sotelma (crée en 1989), faîtière de Malitel.
Pour étendre son influence dans le marché mondial des télécoms, Alcatel décide alors d’exploiter le système offshore et va utiliser les services la société Wainscot Limited, créée en 1999 dans les Iles Vierges Britanniques (BVI), à partir de laquelle elle va manœuvrer au Mali.
La machine offshore à contribution
Dans le somptueux dessein de développer ses activités au Mali, Alcatel loue les services de Wainscot. Dans les documents ayant fuité des ordinateurs de Mossack Fonseca, la société panaméenne au cœur du scandale des Panama Papers, Wainscot envoie ainsi 12 factures, entre septembre 2000 et novembre 2002, destinés à financer le réseau GSM au Mali. Trois autres sont envoyées en relation avec des contrats au Burkina Faso voisin.
Les factures demandent à Alcatel de verser l’argent à travers trois intermédiaires dont certains sont impliqués par ailleurs dans le business offshore coordonné par le cabinet panaméen Mossack Fonseca : Crédit Agricole au Luxembourg, le Crédit Lyonnais à Paris, ou encore la Barclays Bank à Londres. http://www.lemonde.fr/panama-papers/article/2016/05/11/panama-papers-les-pratiques-offshore-opaques-du-credit-agricole-et-de-la-bnp_4917395_4890278.html.
https://www.google.ml/?gws_rd=cr,ssl&ei=iXiWV57AB8SRUbabj9AL#q=Panama+papers%2C+Barclays+Bank+
Ainsi, un contrat d’une valeur de 65 430 euros a été émis pour la réalisation de la station Sotelma à Kayes, dans l’ouest du Mali. Les autres factures concernent les stations de Bamako, Koutiala, Baroueli et Sikasso.
Le montant total des factures auxquelles nous avons eu accès est autour de 800 000 euros.
La firme française avait jusqu’ici entretenu le flou sur son intention de conquérir le marché extérieur du Mali.
Les experts financiers interrogés avancent qu’Alcatel, basée en France, a pu décider de passer par la création d’une société offshore pour plusieurs raisons. « Celles allant d’une disposition légitime des biens ou des services à une décision moins légitime de transférer des fonds à l’étranger », avance dans l’anonymat un membre de l’ONG Oxfam Grande Bretagne.
Le choix d’Alcatel de passer par une société offshore s’expliquerait-il par les avantages financiers ou fiscaux liés à ce service ? « Si vous payez un fournisseur dans un endroit où la fiscalité est plus faible ou pour plusieurs cas non-existant, il y a sans doute des avantages. Tout comme vous pouvez négocier un prix plus bas pour tout ce que ce fournisseur vous vend », explique notre interlocuteur.
Pour un travail effectué au Mali où le taux d’imposition est faible et souvent non appliqué, le payement à partir d’un paradis fiscal comme les BVI serait bien profitable à Alcatel. Pour le cas d’espèce, la firme ne veut pas payer d’impôt pour un travail effectué au Mali. « C’est la raison pour laquelle elle utilise les services de Wainscot Limited dans les Iles Vierges britanniques où il n’y a pas d’impôt pour les entreprises. Le fournisseur paie moins d’impôts et applique un prix inférieur à l’avantage de l’acheteur Alcatel », signifie Moussa Traoré, expert financier du Groupe Suivi Budgétaire (GSB) au Mali.
Outre ces révélations les documents consultés laissent planer un gros mystère au sujet du propriétaire de la compagnie BVI. Ainsi, le propriétaire de Wainscot serait-il le même que celui de Grieta Consulting appartenant à l’industriel malien Gérard Achcar ? Ce message tiré des documents est une piste plausible : « Cependant, nous avons été informés que les sociétés Grieta Consulting SA, Hogmanay Holding SA. et Waincot Limited appartiennent au même client final ». Le détenteur de la société Waincot semble détourner de l’argent sur un contrat juteux noué sur des bases de corruption et de profits illégitimes.
A la question de savoir pourquoi Alcatel a eu recours à ce stratagème pour s’octroyer des parts importantes dans le capital de Malitel, la directrice de la communication et des relations institutionnelles de la firme, Séverine Lèbre-Badré, oppose : « Monsieur, nous ne commentons pas ».
Désillusion
Lancé en 1999 dans un contexte de vive opposition du front social, le processus de répartition du capital de Malitel s’est grippé pendant au moins 4 ans.
Le décret fixait la création d’une entreprise semi-publique nommée Malitel pour lui confier une activité d’opérateur GSM. 56% d’actions devraient revenir à l’Etat malien alors que les 44% seraient partagées entre Alcatel et consorts regroupés au sein du consortium privé Sogetel. Un marché de gré à gré de l’ordre de 55 milliards de F CFA est passé, au profit notamment du groupe français Alcatel, qui dans Sogetel était celui qui apportait le matériel.
Malitel donc naissait en 2000 sans attribution de licence et profitait presque pour moitié à un groupe privé (Alcatel) sans que le moindre appel d’offres ne soit lancé. Moctar Thiam, représentant pour le Mali de multinationale française, devient alors PDG du « nouveau né ». Une décision qui n’a pas reçu l’approbation des syndicats de la Sotelma. La tension est aussitôt montée d’un cran au sein des syndicats qui ont fustigé les contours flous et troubles de la naissance du premier réseau GSM du Mali. Cette dernière est vite rejointe par la société civile malienne qui n’a pas tardé à dénoncer le manque de transparence de cette opération. Et s’ensuit l’une des confrontations les plus virulentes de l’histoire des télécommunications au Mali : lors d’une première grève, le 27 avril 2000, qui a duré 48h, la société civile a réclamé le respect des lois, l’arrêt des opérations de l’opérateur illégitime et la création d’un nouvel opérateur étatique pour le réseau GSM.
Premier exploitant des services de télécommunications au Mali, l’opérateur public Sotelma ne s’est pas empêché de basculer dans l’opacité quand il s’est agi de la mise sur orbite du premier réseau GSM du pays. Nonobstant les « yeux doux » que lui faisait l’Etat malien, à l’aune de la privatisation de la Sotelma, Alcatel a vu son plan s’échouer au mur de la résistance de la société civile malienne.
Les partenaires techniques et financiers du Mali, la Banque Mondiale en premier, ont depuis, sommé les autorités maliennes « à normaliser la situation ».
Ainsi, après perception d’un dédommagement de l’ordre de 2 milliards F CFA, Alcatel et consorts se résignent à quitter Malitel après la signature en octobre 2000 d’un protocole d’accord.
Le « coup de sifflet » de l’Institution de Bretton Woods a semble-t-il mis un terme aux irrégularités tant décriées du processus. « Le non-respect de ces directives aurait pu signifier le gel de toute collaboration de la Banque Mondiale avec le gouvernement Malien, dans le secteur des télécommunications comme dans les autres », nous confie un ancien conseiller du bailleur de fonds.
Après qu’elle eût touché une manne financière pour avoir été écartée, la firme française n’est plus jamais revenue dans le capital de la Sotelma dont la privatisation a été approuvée par la loi d’orientation du 15 décembre 2004.
A la question de savoir si la Sotelma a eu vent des transactions offshore dont l’entité Malitel faisait l’objet, de la part de Alcatel, un membre influent du directoire de la Sotelma à l’époque réplique : « Nous n’avions pas de visibilité sur les pratiques de notre partenaire Alcatel », confesse-t-il.
Enquête réalisée par David Dembélé Avec L’assistance éditoriale du Réseau Africain des Centres pour le Journalisme d’Investigation (ANCIR) et l’accompagnement technique du Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ)